Publié le 16/12/2020

Hommage à Jacques Puisais (1927-2020)

16/12

Refuser la disparition de Jacques Puisais

Jacques Puisais est décédé le 6 Décembre dernier. Titulaire d’un doctorat ès sciences et chimiste analytique il dirigea le Laboratoire Départemental et Régional d'Analyses et des Recherches d'Indre-et-Loire de 1959 à 1993. Dans la logique des « classes du goût » qu’il avait développées dès 1964 en Touraine, et pour peaufiner sa conception de la dégustation et sa méthode d’éducation sensorielle, il cofonde, en 1976, à l’hôtel Mame, rue Emile Zola à Tours, l'Institut Français du Goût.

Dès la fin des années 70, il structure et organise avec l’aide du CNAC (Centre National des Arts Culinaires) des formations d’éducateurs du goût d’abord nationales puis rapidement internationales (Suisse, Canada, Japon, etc.). En 1999 il cofonde, en compagnie de Patrick Mac Leod, l’Institut du Goût. Toutes ces actions constituent les tuteurs et la matrice d’une éducation à l’alimentation en France, en Europe et sur d’autres continents où sa notoriété est toujours intacte. Ancien Président des Unions nationales et internationales des œnologues (métier dont il est le pionnier), il fut un acteur essentiel de l’amélioration des vins ligériens et s’est également beaucoup intéressé à l'accord des mets et des vins qu'il contribua à populariser.

Ses travaux scientifiques à ce sujet ont fait autorité et ont influencé de nombreux sommeliers ou chefs célèbres comme Alain Senderens ou Pierre Troisgros. Membre titulaire de l’Académie d’Agriculture de France. Il a obtenu de la part de l’IEHCA et de sa Fondation Européenne pour le patrimoine alimentaire, le Prix François Rabelais soutenu par l’association Relais & Châteaux en 2016 qui lui a été remis à l’Institut de France pour récompenser l’ensemble de ses actions positionnant la dégustation des mets et des vins comme centrale dans l’éducation de tous les citoyens, comme un enjeu de la restauration des enfants, aussi bien collective qu’au foyer, comme prétexte enfin au développement d’une poétique du « vivre ensemble ». Tout naturellement, après sa participation inoubliable aux détours de sciences , il nous fit l’honneur de présider en 2019, les 15èmes Rencontres François Rabelais sur le thème « Quelle éducation au goût pour la jeunesse ? ».                                   

Il est l’auteur de nombreux ouvrages consacrés au vin, au goût et aux accords mets/vins ainsi qu’à l’éducation sensorielle. On retiendra particulièrement « Le goût juste », 1985 et « Le goût de l’enfant » (1999). Ses publications, seront saluées, le 21 décembre 1985, par un article du journal « Le Monde » titré « Un esthète des goûts : Jacques Puisais » : « Un fou du goût laisse - enfin - ses papilles et sa mémoire tenir sa plume : Jacques Puisais, le pédagogue œnologue. Puisais, le professeur en sensations gustatives, le physiologiste épicurien, entreprend de nous raconter ses régalades ». A la suite de cet article, et de façon régulière, des journalistes et des chroniqueurs pointeront et développeront cette pluralité de qualités, cette conception humaine, humaniste, du rôle essentiel de nos sens dans la connaissance de notre corps et de soi ; dans la prise de conscience de notre ancrage au sein d’un paysage, d’un terroir, dans une histoire que l’aliment nous raconte, nous fournit lorsque nous l’incorporons et qu’il bâtit notre identité ; lorsque son partage et la verbalisation de nos émotions gustatives renforcent nos sociabilités, aident à la reconnaissance de l’altérité.

Il ne s’agit pas ici de livrer une  biographie exhaustive du « pape du goût » mais d’engager autour de son décès - qui n’est pas une disparition- une dynamique de convivialité entre celles et ceux qui  le côtoyèrent. Il s’agit de rassembler, à partir de l’ouverture de cette page leurs souvenirs, leurs anecdotes ; de favoriser leurs retrouvailles, d’exposer leurs analyses. Il s’agit surtout, et c’est notre projet, de construire un collectif porteur d’une synergie débouchant sur des rencontres, un colloque, une manifestation qui mobiliseraient des spécialistes de différentes disciplines, des acteurs de l’éducation aux cultures alimentaires (sensorielle, nutritionnelle, respectueuse  des identités, de l’environnement, sensible au gaspillage, etc.), des partenaires de « la filière du manger », avec le souci de rencontrer un public averti ou non.

J’amorce donc, brièvement,  cette dynamique…

Lorsqu’il imagine, conceptualise et cofonde l’Institut Français du Goût dans l’Hôtel Mame tourangeau, il le fait en convoquant, autour de l’alimentation et avec la complicité d’Alfred Mame, les doyens des facultés de médecine et de pharmacie de l’Université de Tours (M. Maillet et Combescot), Jean Luthier le directeur de l’IUT, Alain Corbin, alors enseignant tourangeau, participe à la réflexion ainsi que Jean Duvignaud, directeur de la section de sociologie tourangelle auquel je dois l’honneur et le plaisir d’être immédiatement associé à « l’aventure » en tant que doctorant. Des « parisiens » sont inclus dans ce groupe fondateur : le professeur Le Magnen,  Jean-Paul Aron qui venait de publier « le mangeur du XIXeme Siècle », Matty Chiva dont la thèse de psychologie déboucherait sur la publication du célèbre livre « le doux et l’amer », Claude Fischler tout comme moi doctorant en sociologie. N’oublions pas la présence de Charles Barrier, de Lefebvre Utile, de Sabbat (un pâtissier local extraordinaire), de plusieurs viticulteurs des terroirs ligériens, de M. Hardouin, etc. Je me souviens de son émotion, que je partageais, lorsqu’un svelte et jeune chef a séduit les participants des rencontres  de l’Institut consacrées au beurre, en  évoquant de façon poétique  « son chant au fond de la poêle ».

Le jeune chef était Jean Bardet qui deviendra par la suite un acteur essentiel de la pédagogie du goût en Touraine, aux côtés de Jacques Puisais, par des actions dans les écoles (les classes de Dominique Montoux par exemple), des interventions dans les formations de l’Université (DU, puis Master du goût), avec le concours de l’Institut de dégustation. Présence de ces deux complices aux côtés des jeunes générations de métiers de bouche, éducateurs et passeurs,  dans la préfiguration et le lancement de Tours cité gastronomique.

Cette liste d’actions et de noms évoqués n’est pas exhaustive mais Françoise Sourdais qui commence  une thèse « Contribution à la thématisation et à l’institutionnalisation de l’éducation au goût dans les sciences sociales françaises à travers la biographie scientifique de Jacques Puisais à l’Université de Toulouse  la compléter et vos témoignages aussi.

Que ce premier souvenir soit l’amorce d’une dynamique de convivialité scientifique autour de l’exemple de Jacques Puisais, de son « militantisme du goût », de sa volonté d’approche pluridisciplinaire qui a positionné notre ville et notre région comme un lieu de rencontre important de tous les acteurs de l’alimentation. Il a posé la première pierre de cet édifice, a suscité ou participé à de nombreuses rencontres d’échanges pluriels autour des nourritures liquides ou solides. A nous, à vous le pouvoir d’en continuer la construction.

Jean-Pierre CORBEAU

Sociologue de l'alimentation

Vice-président de l'IEHCA